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Sainte-Anne avant Sainte-Anne
Le premier hôpital du quartier, fondé au XIIIe siècle par la veuve du roi Saint-Louis, fut remplacé en 1606 par le Sanitat Saint-Marcel, dit "
Il reste quasi-inoccupé jusqu'en 1787, date où il est choisi par l'Académie des Sciences comme site d'un des quatre hôpitaux devant remplacer l'Hôtel-Dieu. Tenon lui-même propose de le réserver aux "aliénés curables". Le projet est abandonné à la veille de
En 1833, Esquirol envisage d'y établir un hospice pour vieillards et infirmes. La même année, Ferrus, médecin chef de Bicêtre obtient d'y appliquer ses théories sur le traitement des aliénés par le travail. Pendant trente ans, les aliénés tranquilles de Bicêtre (200 au plus fort de l'activité) s'y rendent pour divers travaux d'élevage et de culture essentiellement.
L'enclos de
L’Asile Clinique Sainte-Anne, un "modèle à présenter non seulement à
En 1863, la décision d'édifier sur l’emplacement de
Une Commission présidée par le Préfet Haussmann propose la création d'asiles d'une capacité totale de 6000 lits, construits sur le modèle de l'asile d'Auxerre dont Girard de Cailleux, secrétaire de
- Un "Asile clinique" à Paris, sur l'emplacement de
- Une dizaine d'asiles satellites, à moins de vingt kilomètres de la capitale, de chacun 600 places au maximum. Ville-Evrard ouvrira en 1868, Vaucluse en 1869.
La construction de ce "véritable foyer de la science aliéniste" est confiée à l'architecte Charles-Auguste Questel. Les terrains de la ferme et les parcelles expropriées s'étendent sur
Les constructions, sobres et élégantes, évitent l'idée de réclusion. Les matériaux proviennent des démolitions dues aux percées des avenues haussmanniennes.
L'avenue intérieure prolonge la rue Ferrus et divise le domaine en deux parties:
- Sur la partie Est sont édifiés la loge, le pavillon du Directeur, les trois pavillons du Bureau Central reliés entre eux avec salle de cours et quartier cellulaire.
- Dans la partie Ouest, les remises, écuries et ateliers, le bâtiment de l'administration avec logements et parloirs, et l'Asile proprement dit, conçu sur un mode pavillonnaire très ordonné, où forme et fonction thérapeutique sont inséparables. Il est composé de deux "divisions", celle des hommes à droite et celle des femmes à gauche, ayant chacune une infirmerie et cinq pavillons pouvant accueillir 280 malades.
Chaque pavillon comprend trois dortoirs et une cour limitée par un mur précédé d'un saut-de-loup. Une galerie, axe de symétrie de chaque division, conduit au pavillon de bains auquel est annexé un pavillon de neuf cellules pour les agités.
Sur l'axe central de l'asile se trouvent le Bâtiment des services généraux dit "de l'Horloge" surmonté d'un belvédère de surveillance, la chapelle -chef-d'œuvre de Questel-, l'amphithéâtre, la buanderie et le château d’eau. L'ensemble est demeuré intact, hormis les demi rotondes pour agités qui ont disparu.
L’Age d’or de l’aliénisme
Le 1er mai
La période suivante est troublée: chute du Second Empire, départ de Girard, obus prussiens et combats de
L'institution dispose de "serviteurs dévoués" ne manquant pas de savoir-faire mais ils doivent aussi s'instruire: l'Ecole professionnelle d'infirmiers et d'infirmières ouvre en 1882. La laïcisation peut alors se concrétiser en janvier 1884 par le remplacement des Sœurs de Saint-Joseph. Mais les nouvelles infirmières, aussi mal payées que les gardiens des hommes vivent dans des conditions difficiles, en effet, en 1889, au nombre de trois pour 60 malades, elles travaillent 16 heures par jour et dorment dans des chambres proches des dortoirs des malades.
La mobilisation des hommes pendant
Entre 1869 et 1877, deux pavillons ont été édifiés dans la partie sud-est du domaine dans le cadre d'un projet de pensionnat (pour malades payants), puis d'un projet de quartier pour aliénés criminels. Baptisés Leuret et Ferrus (et depuis 1911, à l'initiative de G. Ballet, respectivement Benjamin Ball et A. Joffroy), ils seront dévolus à la "Clinique de Pathologie mentale et des maladies de l'encéphale" créée en 1877.
Magnan assurait déjà avec ses collègues un "enseignement par la clinique", suspendu de 1873 à 1876 après une campagne de presse dénonçant les présentations de malades. Magnan est candidat à la chaire, mais c'est un élève de Charcot, Benjamin Ball qui l'emporte. À Ball succèderont Alix Joffroy, Gilbert Ballet, Ernest Dupré, Henri Claude, Maxime Laignel-Lavastine, Joseph Levy-Valensi, Jean Delay, Pierre Deniker...
Le Pavillon central de chirurgie, dit "Pavillon hollandais" ouvre en 1900, et reçoit les cas chirurgicaux et obstétricaux des asiles de
Les premiers traitements spécifiques: vers la fin de l’Asile
En 1908, 300 malades tranquilles travaillaient selon leur métier, dans et pour l'établissement: menuiserie, serrurerie, peinture, jardinage, buanderie, repassage, etc.
De nouveaux traitements plus actifs sont inventés: la clinothérapie et les bains permanents dans les états aigus, dont Magnan est un grand partisan. Il est aussi apôtre du « no-restraint », et supprime la camisole, l'immobilisation au lit, puis les cellules d'isolement.
C'est Henri Claude, médecin-chef de la « Clinique », qui passe pour avoir "fait entrer" la psychanalyse à Sainte-Anne en 1923.
L’hôpital Henri Rousselle, premier « service ouvert »
Jusqu'en 1922, toutes les admissions dans les asiles avaient lieu sous le régime de
Ce service départemental "de prophylaxie mentale" confié au psychiatre Edouard Toulouse regroupe hospitalisation, dispensaire, service social et laboratoire de recherche. Il occupe bientôt l'ensemble des bâtiments du service des Admissions (qui déménage dans les anciennes infirmeries de l'asile). Du fait de son succès, il s'avère vite insuffisant pour la population du département. Mais des malades y sont retenus contre leur gré ou en sortent transférés dans un service fermé, ce qui -autant que son coût élevé- est très critiqué par la plupart des aliénistes des asiles... L'un d'entre eux, Théodore Simon, succède à Toulouse en 1936, suivis de Génil-Perrin dernier médecin-directeur, Yves Porc'her, Rondepierre, Daumézon.
En 1933, la mobilisation des médecins pour la défense de Sainte-Anne, le seul asile parisien intra-muros, évite sa fermeture et l'installation de
De l’Occupation à
En 1940, une partie de l'Hôpital Psychiatrique -nom qui a remplacé en 1937 Asile d'aliénés- est convertie en hôpital militaire allemand. Une présence ennemie qui n'empêche pas l'hôpital de servir d'asile à des personnes menacées (Anglais, Juifs...), et que s'y développe
Sous l'Occupation, le nombre des entrées baisse plus encore que lors de
Dans les années 1950, Daumézon, médecin-chef des Admissions, applique le principe de répartition des malades selon des aires de recrutement géographique, puis en 1967 remplace le vieux service par le Centre Psychiatrique d'Orientation et d'Accueil, consultation d'urgence ouverte jour et nuit.
En 1967 naît aussi l'idée d'une réorganisation de la psychiatrie parisienne: chacun des 36 secteurs de Paris disposerait de 50 lits à Sainte-Anne, où six nouveaux bâtiments de 7 niveaux remplaceraient ceux de l'asile d'Haussmann, et de 150 lits dans un hôpital périphérique. Survient mai 68, et l'abandon du projet permet d'éviter le pire, au moins sur le plan architectural.
Puis vient la sectorisation, dix ans après la circulaire du 15 mars 1960. Le développement de l'extrahospitalier favorise alors la réduction du nombre de lits et celle-ci l'intégration de plusieurs secteurs auparavant rattachés à Vieille-Eglise, Perray-Vaucluse et Maison-Blanche. La psychiatrie de Sainte-Anne s'installe "dans la cité", jusqu'à sa récente implantation aux urgences des hôpitaux généraux.
Enseignement et recherche: des découvertes de portée mondiale
Ce dernier demi-siècle voit se développer l'Ecole d'Infirmière, aujourd'hui IFSI Virginie Olivier, et une importante Ecole des Cadres Infirmiers. Sur le plan médical, la tradition se perpétue: l'enseignement est dispensé dans les deux services universitaires héritiers de
La recherche est représentée par cinq unités de l'INSERM, avec en particulier son Centre Paul Broca. Les Journées Sainte-Anne réunissent depuis 1983 les diverses écoles, de la psychiatrie biologique à la psychanalyse. Parmi les représentants de cette dernière discipline, citons Parcheminey, Pierre Male, Pasche, Lacan (qui trouve dans le service de Claude matière à sa thèse de 1932) et ses célèbres "présentations de malade", Pierra Aulagnier.
En 1952, Sainte-Anne est le lieu d'un évènement majeur: la découverte par Jean Delay et son assistant Pierre Deniker des propriétés du premier neuroleptique, le 4560 RP (Largactil). En 1957, Deniker reçoit le prix Lasker, partagé avec Henri Laborit qui le premier utilisa le produit dans l'hibernation artificielle. La recherche dans le domaine de la pharmacocinétique et des propriétés thérapeutiques des psychotropes s'y est poursuivie avec profit.
C'est à Talairach que l'on doit l'autre découverte de portée mondiale, la stéréotaxie: son "cadre", un appareil fixé sur le crâne est mis au point en 1948, année où il réalise avec Henry Hécaen et Ajuriaguerra la première intervention au monde "à crâne fermé". Les applications en sont multiples en neurochirurgie et en épileptologie (stéréo-électro-encéphalographie) notamment.
La neurochirurgie et le service d'imagerie morphologique et fonctionnelle, la neurologie, la chirurgie, l'anesthésie-réanimation et la stomatologie sont regroupés depuis 1986 dans le Centre Raymond Garcin (du nom du neurologue de
Les constructions anciennes sont inscrites à l'Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques depuis 1979. Du mur qui entourait l'asile ne subsiste qu'une portion rue de
De quelques personnalités et innovations
Parmi les grands personnages, citons Soulairac pour ses recherches psycho-neuro-endocrinologiques, Sven Follin, l'un des pères de la psychose hystérique, Brian-Garfield, première femme chirurgien français nommée chirugien-chef en 1946, le père Deschamps, exorciste, aumônier de 1974 à 1986...
Nombreuses aussi sont les créations et innovations de ces dernières décennies:
- Le Centre de Guidance Infantile Pierre Male, du nom de son fondateur avec René Zazzo et "Ajuria" en 1948
- Le dispensaire Moreau de Tours ouvert en 1972, premier centre pour toxicomanes en France avec Fernand-Widal habilité à délivrer la méthadone (1974), devenu en 2004 un service à part entière
- Le Centre d'Etude de l'Expression de
- Le Secteur Médico-Psychologique Régional de la prison de
Et plus récemment les unités de prise en charge des Troubles du Comportement Alimentaire (CMME), des adolescents (au CPOA), des patients sourds, et enfin l'équipe "Santé mentale et Exclusion sociale" qui montre que Sainte-Anne, en charge avec Perray-Vaucluse des quartiers les plus aisés de la capitale, n'en a pas moins le souci de l'accès aux soins des plus démunis.
Enfin, l'Institut H. Ellenberger voisine avec la deuxième bibliothèque européenne de psychiatrie, qui pour tout ce qu’elle lui doit porte le nom du Maître de Bonneval, Henri Ey, qui anima près de 40 ans ses "Mercredis de Sainte-Anne". Un Musée d'histoire de la psychiatrie a ouvert en 1989.
Un Centre Hospitalier tourné vers l’avenir
Que des malades aient été isolés à Sainte-Anne n'en a pour autant jamais fait un lieu isolé du monde. Un riche partenariat interhospitalier en France et dans le Monde s'y est développé, mais aussi les relations avec les associations de patients et de leurs familles, concrétisées par l'ouverture d'une "Maison des Usagers" en 2004.
Et si Sainte-Anne n'est plus depuis quelques années le seul hôpital psychiatrique parisien intra-muros, il reste un Centre Hospitalier unique en son genre, dont la réputation internationale sera confortée par le futur (et futuriste) Institut de
Sans avoir perdu de vue sa mission première: les soins aux malades, qu'il remplit depuis bientôt cent cinquante ans.